La micro-informatique familiale française n’a jamais su vraiment sortir du lot. Les MO5 et autres TO7 de THOMSON, principal constructeur français, paraissent bien fades faces aux qualités graphiques et sonores des AMSTRAD CPC et surtout, plus tard, face aux 16 bits ATARI ST et AMIGA (COMMODORE).
Pourtant le constructeur français a bénéficié à plein du plan IPT (Informatique Pour Tous) initié par le gouvernement Fabius en 1984. En effet, ce plan d’informatisation des écoles et collèges a permis aux constructeurs français (principalement THOMSON) d’écouler des milliers de machines soutenant ainsi une industrie française poussive qui n’a fait que s’endormir sur ses lauriers et n’a pas su s’adapter à une concurrence plus audacieuse et inventive.
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Le plan IPT, s’il a permis aux élèves de s’initier à l’informatique (à un moment où le taux de pénétration de l’ordinateur dans les foyers français était très faible), aura été un immense gâchis financier. En effet, la décision politique n’a pas pris en compte les besoins de formation des enseignants et la rapide obsolescence du parc informatique avec l’arrivée des ordinateurs 16/32 bits concurrents… Notons au passage que l’idée d’initier le plus grand nombre à l’informatique était une idée fort louable et qu’il est assez dommage (voire dommageable pour notre économie) que la programmation ne soit plus enseignée au plus grand nombre au même titre que la lecture ou le calcul. Nul doute que quelques Bill Gates français seraient sortis du lot. Au final, l’enseignement de l’informatique en France se résume à l’utilisation de logiciels déjà commercialisés (au premier rang des desquels figurent ceux de Microsoft) plutôt qu’à la création, profitable, elle, à terme à l’économie. La presse informatique a malheureusement suivi la même voie…
Toutes ces machines, flambant neuf, ont fini au placard après l’abandon de l’informatique grand public par THOMSON en 1986 (au lendemain de la livraison du plan IPT !) ; en effet cette année là, Thomson qui n’a pas réussi à relancer les ventes de ses MO et TO malgré le rajeunissement de sa gamme ou le lancement de la série limitée Michel Platini, préfère, comme certains de ses confrères (Amstrad, Commodore…) se lancer dans le développement d’un compatible PC, marché abandonné lui aussi par THOMSON en 1989 après un échec commercial cuisant. Une véritable trahison pour le gouvernement qui devra remettre la main au portefeuille pour financer un parc de micros au goût du jour. Nul doute que la facture se retrouve encore à ce jour dans le puits sans fond de nos déficits publics !
S’il était louable de la part du gouvernement de tenter de rattraper le retard de la France dans son informatisation, les erreurs dans le choix des matériels et le manque d’investissement dans la formation des enseignants auront causé l’échec de cette initiative. La piètre connaissance de nos décideurs politiques en matière de nouvelles technologies explique vraisemblablement pour une bonne part ces errements stratégiques.
D’autres projets français n’ont malheureusement pas rencontré le succès comme EXELVISION malgré quelques innovations (clavier et manettes sans fil), ORIC (constructeur britannique racheté par des français suite à son dépôt de bilan) sans parler de SQUALE, l’ordinateur qui a fait une apparition au SICOB sans jamais connaître de réelle commercialisation…
Le SQUALE est un cas particulier (malheureusement pas unique) qui mérite d’être conté. Conçu par une jeune société française, APPOLO 7, le SQUALE est un ordinateur qui avait beaucoup trop de défauts pour espérer un réel succès commercial. En effet, bien que français, son clavier est dépourvu de touches accentuées (APPOLO 7 avait répondu à l’appel d’offres du plan IPT…), le basic non résident doit être chargé à partir d’une cassette, documentation inexploitable. Pourtant cette machine ne manquait pas d’atouts avec un basic très complet, un modem intégré. Cette machine laisse une impression d’inachevé. Face à un marché en crise, elle n’a pas pu faire le poids… Pour les collectionneurs actuels, l’attrait du SQUALE est sa rareté. La légende raconte qu’aucun SQUALE serait en état de fonctionnement. Quelqu’un en aurait-il vu un tourner récemment ?
Quelques constructeurs français :
- THOMSON avec ses MO5, TO7, TO7/70 puis MO6 et TO8, TO9 et enfin le PC TO16 qui signe la fin de l’expérience micro du constructeur français.
- EXELVISION avec son EXL100. Cette société, créée par d’anciens ingénieurs de chez TEXAS INSTRUMENTS (après l’arrêt du TI99/4A), a accouché d’un ordinateur novateur avec clavier et manettes sans fil, synthèse vocale et des capacités graphiques reconnues (toutes ces innovations ont été fort bien exploitées dans le jeu de tennis du même nom).
- MATRA-HACHETTE avec ses Alice… tout rouges ! MATRA a sorti ses machines en 1983 et les a remballé en 1985… MATRA n’a pas été retenu par le Plan IPT et le marché n’a pas été séduit par cette machine.
L’informatique professionnelle française ne réalise pas non plus des prouesses exceptionnelles.
La grosse informatique française, elle aussi soutenue par l’Etat, n’a pas connu de grands succès non plus (le Plan Calcul cher au Général de GAULLE est déjà loin). Pourtant les besoins militaires et civils (prévisions météorologiques par exemple) n’ont cessé de croître depuis les années 70. Ce marché est dominé par les Américains et l’exportation des super-calculateurs est soumis à de strictes autorisations de la part des autorités américaines mêmes pour des alliés comme la France.
Sélection d’articles sur le sujet :
- Le micro-ordinateur X1 dans les lycées, Micro-Systèmes n° 7 (septembre-octobre 1979), p. 55 : le système X1 conçu et réalisé par la Société Occitane d’Electronique qui équipera, avec Logabax, les lycées français. Ce système est dédié à la gestion de la PME : gestion de fichiers clients, comptabilité générale…
- LOGABAX, un dossier complexe, une solution contestée : OLIVETTI, Micro-Systèmes n° 19 (septembre-octobre 1981), p. 207 : triste première pour l’industrie informatique française : après de vains efforts de sauvetage, LOGABAX gagne la haute actualité par la petite porte des dépôts de bilan
- ALICE, une merveille au pays des micros ?, Science & Vie Micro 1 (décembre 1983), p. 41
- EXELVISION EXL100, une médaille pour la France, Science & Vie Micro 9 (septembre 1984), p. 120
- ALICE 90, Science & Vie Micro 11 (novembre 1984), p. 65
- Publicité “Squale, le challenger”, Science & Vie Micro 11 (novembre 1984)
- Le SQUALE, l’arrivée d’un prématuré, Science & Vie Micro 15 (mars 1985), p. 48
- Le bide informatique français !, Hebdogiciel 74 (15 mars 1985), p. 1 : vision cinglante du sénateur Rausch sur la stratégie du gouvernement français en matière d’informatique
- ALICE 90 : tout faux !, HEBDOGICIEL n° 72 (1er mars 1985), page 1 : allure d’accordéon rouge, cher, calculs imprécis… cette machine cumule les défauts… prélude d’un échec commercial à venir…
- ALICE, c’est fini, HEBDOGICIEL n° 83 (17 mai 1985), page 10
- L’informatique va à l’école, Soft & Micro n° 11 (septembre 1985), p. 112 : 110 000 enseignants en formation, 120 000 micro-ordinateurs à installer dans 50 000 établissements. Avec son plan Informatique Pour Tous, la France rivalise avec les Etats-Unis. Le ministre de l’Education, Jean-Pierre CHEVENEMENT, en explique l’enjeu “industriel et culturel”.
- 5 vérités sur le TO9 de THOMSON, Science & Vie Micro 22 (novembre 1985), p. 78
- L’extension du MO5, une idée originale de Thomson, Science & Vie Micro 25 (février 1986), p. 46 : Le Quick Disk Drive (QDD)
- MO6, TO8, TO9+, Thomson présente sa nouvelle gamme, Science & Vie Micro 31 (septembre 1986), p. 106
- Thomson arrête les frais, Hebdogiciel 163 (28 novembre 1986), p. 1
- Thomson se rallie aux standards et déménage aux USA, Science & Vie Micro 34 (décembre 1986), p. 12
- Normerel NS65, les bons points du premier ordinateur français à bus MCA, Science & Vie Micro 59 (mars 1989), p. 68
- La mort de Goupil, Science & Vie Micro 86 (septembre 1991) , p. 42 : Goupil, dernier constructeur français de micro-ordinateurs, est placé en liquidation judiciaire le 11 juillet faute de candidats à la reprise ; pour son dernier exercice, les pertes dépassent 400 millions de francs.
Les photos d’illustration sont issues de ma collection personnelle.
Approfondir le sujet :
L’informatique des années 80 / Ma collection / Ma documentation
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